Il y a deux choses dont je n’aime pas parler en public, les
convictions politiques et la religion. Primo, ce sont des questions privées.
Deuzio, il s'agit de sujets-fleuves et quand on s'y engage, vous pouvez toujours courir, il n'y a pas de lumière au bout du tunnel.
Tertio, le plus souvent, c’est d’un ennui mortel. Quarto, pas facile de trouver le support pour ce genre de discussions. Et en parler sur les réseaux sociaux, où
nos points de vue côtoient joyeusement des vidéos du style « regardez
tout le chocolat que ce gamin se fourre dans la bouche », me semble quand
même un peu déplacé.
Pourtant, un récent mini-clash médiatique m'a fait déroger à mes
habitudes, car l’occasion est bonne pour expliquer la raison de mon absence à
l’Eglise, même si j’ai une foi profonde et réfléchie. La voilà – j’ai horreur qu’on
me prenne pour un con.
A l’origine, la publication par « Réformés » – un
magazine d’actualité protestante diffusé en Suisse romande – d’un brûlot sur
l’homosexualité, qui s’ouvre sur « Crucifix », une photo controversée
de deux hommes nus enlacés. La provoc’ suscite un tollé. Dont celui des milieux
évangéliques – branche un peu plus youpla boum de protestantisme – où j’ai fait
mon caté et par la suite, une bonne partie de mon aventure de croyant.
Je n’avais même pas besoin de lire les critiques pour savoir
par cœur la liste des reproches qu’on balancerait à la figure de l’Eglise
réformée. Mais j’en ai lu une en particulier, celle du pasteur Gilles Geiser
(Aigle, VD), qui illustre à merveille tout ce qui m’a fait fuir les rangs des
chrétiens évangéliques.
Le brave gars met sur la sellette le libéralisme – un gros
mot pour certains – l’orgueil et, un peu moins directement, mais quand même,
l’ouverture au dialogue dans l’Eglise réformée, trois composantes censées faire
un sort à la chrétienté occidentale.
Entre la poire et le fromage, l’expert nous assène
le coup fatal de ouf, en étayant sa critique par une image biblique, celle d’un
arbre qu’on reconnaît à ses fruits. En gros – en suivant la logique de sa
petite tartine – la preuve ultime que le libéralisme serait pourri, c’est que
les églises réformées soient remplies de vieux et manquent d’argent. Vivement
qu’on secoue le cocotier, on dirait.
Une interprétation arbitraire de la Bible magistralement
sortie de son contexte, conclu par « ze » phrase qui tue,
« c’est un scandale », point barre, et paf dans ta gueule. Je suis écrasé
par le rouleau compresseur de cette admirable logique style publication Twitter.
Le public fait bravo, cite quelques versets pour saluer le champion, sortis de
leur contexte itou – c’est d’usage chez les évangéliques – baisser de
rideau, bis, bis !
Là-dessus, il y aurait plusieurs choses à dire. A commencer
peut-être par qui a bien pu laisser la tribune, sur un site d’information
évangélique qui se respecte (la moindre des choses !…), à un guignolo en
polo turquoise qui ramène la réussite d’une église à l’âge de ses membres et à
l’état de son compte, et qui pioche dans la Bible comme les dames du club
féminin piochent des cartes lors d’une partie de belote.
Je ne m’attarde pas sur les slogans éculés, qui circulent
dans le milieu depuis que je me rappelle, comme les fantômes qui hantent un
vieux château écossais. D’après moi, celui qui veut évoquer de grandes et
amples notions comme « libéralisme » devrait au moins avoir
l’élégance de dire clairement ce qu’il entend par là. Du moins commencer par Le
Petit Robert, bon sang ! Mais que dalle, laissez toute espérance vous qui
entrez, on vit une époque où le candidat gagnant est celui qui résume son
programme en 140 caractères, c’est dire si la fin est proche.
Une mention pour la pitoyable fierté des évangéliques de
passer pour des « simplets » et « prudes » aux yeux du
monde, un peu comme ces Amerlos qui, quand on leur parle de la Suisse, vous
sortent des « I don’t even know what that is » avec cette terrifiante
nonchalance digne des têtes couronnées de Versailles à la veille de la
Révolution française, celle-là même qui nous mettrait nous, les Européens, à
quatre pattes de honte.
Et finalement, le fatidique penchant des évangéliques à se
laisser mener, comme un taureau à la vue d’un foulard rouge. L’une des
premières leçons de vie, maman qui me le disait au cycle, « si on te
provoque, tu laisses couler, d’accord ? » Oui, c’est difficile. Oui,
ça va à l’encontre de nos instincts. Et alors ? N’est-on pas entre adultes
là, pour savoir que toute la force d’une provocation réside dans les réactions
qu’elle suscite ?
Voilà donc ce qui, quand j’avais lu l’ « article »
du grand manitou aiglon, m’a explosé la cervelle. J’ai fermé mon navigateur
avec un profond sentiment de gêne, car même si ça fait deux ans que je ne
fréquente plus les églises évangéliques, ce qui s’y passe ne m’est pas
indifférent. Je suis né dans une famille de pasteur, je me suis fait baptiser à
l’Eglise baptiste et j’ai grandi dans une famille où la Bible passait avant
tout, même avant la tronche de Rochebin au 19h30. A plusieurs occasions, je me
suis impliqué dans différentes initiatives évangéliques et j’ai de
l’expérience dans les médias écrits et le traitement d’information. Je connais
donc bien les réalités de l’arrière-boutique.
« Le protestantisme libéral va dans le mur », dit
Gilles Geiser, mais moi je dirais plutôt, c’est tout un concept de
christianisme qui va dans le mur, et cela, malheureusement, celui dont vous faites
preuve par le petit texte que vous nous avez pondu. C’est un concept qui ne se
limite pas à une église en particulier, mais qui se manifeste, de plus en plus,
dans l’attitude des chrétiens que j’observe autour de moi, qu’ils soient
évangéliques, réformés ou catholiques.
C’est, d’abord, le refus du dialogue, les tabous qu’on
n’aborde pas, les sujets qui fâchent et qu’on traite de manière expéditive ou
qu’on balaie sous le tapis.
C’est le discours des slogans que personne ne se donne plus
la peine d’expliquer.
C’est l’arrogance vis-à-vis des autres religions et
dénominations chrétiennes, qui ont toutes leur mot à dire.
C’est la politique d’autruche face à des questions qui nous
dépassent. Et ma foi, ça nous retombera dessus, car avec les progrès de la
science, l’homme fonce tête baissée au-devant d’une foule de nouvelles
responsabilités. Et se boucher le nez et les oreilles face à nos nouveaux
pouvoirs, c’est déjà un choix moral.
Ce sont les querelles sur le sexe des anges entre les
différentes branches de la famille protestante, qui la décrédibilisent tout
entière.
C’est enfin le déni complet de tout ce qui ne rentre pas
dans notre vision du monde, de tout ce qui cloche dans notre équation divine,
et de tout ce qui nous fait parfois douter de notre « vérité ».
Juste pour être clair. Je ne prends pas de vilain plaisir à
critiquer un pasteur. Je ne suis pas un lecteur de « Réformés » et je
ne les suis pas dans leurs choix éditoriaux à la Madonna. C’est fou ce qu’il
faut être désespéré, d’ailleurs, pour recourir à la provoc’. Je n’aime pas
scandaliser les gens, je suis plutôt du genre à écouter ce qu’ils ont à dire.
Je ne suis pas non plus un grand blessé de la vie. Au contraire, je pense qu’au
cours de ce quart de siècle passé, j’ai eu droit à davantage d’amour et de
compréhension que quiconque.
Ce que je réclame seulement, c’est le droit de dire,
« sur ces questions, nous ne sommes pas au clair… », « la Bible
reste vague sur le sujet… », « voyons ce qu’en disent les autres
religions… », « écoutons un peu les premiers concernés… »,
« il y a différentes interprétations de ces paroles de Jésus… » –
sans qu’on me regarde comme un traître ou une brebis égarée.
C’est le droit de citer en exemple des témoignages où les
principes « bibliques » tels que nous les interprétons n’ont pas
marché. Le droit de dire haut et fort que parfois, Dieu reste muet, qu’il se
dérobe à notre compréhension, n’intervient pas face à l’injustice et ne
récompense pas ceux qui font le bien – du moins pas dans cette vie, et dans
l’au-delà, ça nous fait au fond, qu’on se le dise, une belle jambe.
Et qu’il y a des moments où l’humain doit user de toute sa
volonté pour croire encore que Dieu est bon et qu’il nous veut du bien. Que souvent
ses voies sont tellement impénétrables qu’on se résigne à notre impuissance,
avec un amer « même s’il me tuait, je continuerais à espérer en lui »
à la Job. Car de toute façon, où chercher de l’espoir dans ce monde condamné si
ce n’est dans une idée de Dieu ?
Ce que je demande seulement, c’est qu’on arrête de me prendre pour un con.
Pour lire les propos dudit pasteur, cliquez ici.